Le mystère du Hareng Saur, Jasper Fforde - Le Monde des Livres ... en un peu moins bien




La série des Thursday Next, menée avec humour et un certain brio par Jasper Fforde, est sans conteste l’un de mes objets littéraires préférés. Drôle, décalé, poétique et totalement inclassable : voilà une série d’adjectifs qui devraient vous donner envie de vous jeter sur L’affaire Jane Eyre, une entrée parfaite dans le Monde des Livres, dans lequel le personnage principal de la série se retrouve propulsée pour résoudre une situation scabreuse, le kidnapping de Jane Eyre par le prototype du vilain méchant, Achéron Hadès.

Cette fois-ci, ce n’est pas l’héroïne godiche de Charlotte Brontë qui a disparu, c’est Thursday elle-même. « Thursday pourrait se trouver n’importe où entre la traduction ourdou des Hauts de Hurlevent, et le bon de garantie d’un moulin à café Moulinex de 1965 ». Plutôt fâcheux, surtout quand on sait qu’elle doit participer à des pourparlers de paix extrêmement délicats entre deux genres au bord d’un sanglant affrontement, la Littérature féminine et le Roman grivois. D’autant qu’elle semble s’être volatisée, que ce soit dans le monde réel ou dans le monde des livres. La Thursday Next de fiction (j’ai mis deux jours à comprendre, donc je vous brieffe), c’est-à-dire le personnage qui incarne Thursday Next pour les lecteurs, est chargée de mener l’enquête ; mais elle est complètement gourde et naïve, et bien moins trashy que la véritable Thursday Next dont elle emprunte l’identité (tout le monde suit ?) – rassurez-vous, cela s’arrange par la suite, et Thursday (laquelle, vous verrez) parvient à déjouer le projet démoniaque fomenté par Goliath, l’affreuse firme transnationale qui veut mettre la main sur le Monde des Livres.

Alors certes, on a le sentiment de se glisser dans ses petits chaussons douillets, on a ses repères, et on retrouve avec bonheur les petits plaisirs de la série. Le Guide Bradshaw du Monde des Livres est toujours une référence, et les incises de début de chapitre sont toujours délicieuses ou déroutantes. L’empereur Jark, un genre de sous-Dark Vador échappé de la Fantasy, dont je suis une des plus grandes fans, intervient à point nommé dans le dénouement. Les procédés littéraires et stylistiques sont légion, autant que les renvois intertextuels (bien que le note-de-bas-de-pageophone soit en panne dans cet épisode). Les Clowns forment toujours des troupes d’élite armées de TCO (comprenez : Tartes à la Crème Offensives). Le Stilton est toujours une marchandise interdite, rare, chère, et hautement trafiquée.

Certaines nouveautés se savourent. La démultiplication des différentes sortes de Thursday est assez prenantes (les synthétiques de Goliath, les copies littéraires, la Thursday de fiction et sa remplaçante Carmine qui fraye avec un Gobelin) est plutôt une jolie trouvaille, tout comme les personnages sans épaisseur de l’île du Fandom et la carte du Monde des Livres façon Seigneur des Anneaux. Et la scène où Thursday et son robot-majordome échappent à un accident fomenté par des individus mystérieux, pour tomber dans un champ de mimes (vous avez bien lu) tueurs est clairement l’une de mes préférées.

Mais ce sentiment de (ré) confort m’a laissé un petit goût amer, comme un café très serré sans son petit carré de chocolat. Autant je recommande les yeux fermés L’affaire Jane Eyre, Délivrez-moi, Le puits des histoires perdues, Sauvez Hamlet, Le début de la fin, autant je suis dubitative sur Le mystère du Hareng-Saur. Certes une partie du plaisir est intact, mais les qualités de la série sont ici un peu prétexte à accumuler des « triangulations au crible textuel », de « bouclier de défense stratégique anti-châtiment » et de procédure de démembrement, au détriment de l’intrigue, dont le caractère échevelé et les rebondissements faisaient aussi le charme. Jasper Fforde s’amuse, mais tout ceci se fait d’une façon très atomisée à l’intérieur d’un récit qui aurait pu être plus emballant, et pour le coup la lectrice que je suis s’amuse beaucoup moins. Pour le coup, l’échappée de Fforde dans la satire de la Fantasy, La tyrannie des couleurs, m’avait plus accrochée.

« - Où étiez-vous passée ? (…)
-  J’ai fait tomber une bande de Stiltonistes, été arrêtée pour crimes contre l’humanité, découvert où les autres Thursday étaient enterrées, été pour ainsi dire enlevée par Goliath et libérée par un procureur général.
- C’est tout ? »

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