Le bel Antonio, Vitaliano Brancati

"Un malheur ! ... mon Dieu, rien que d'y penser, tu sens ton cerveau éclater ! Mon propre fils, mon fils unique, ma joie, mon orgueil, ma vie même, le voir réduit à un état pire qu'un chiffon pour les pieds, parce que ce dernier au moins sert à épousseter les chaussures, mais un homme dans cet état, à quoi est-il bon ?"

Je profite de la belle politique éditoriale de Pavillons poche - qui a l'habitude de ressortir les bonnes vieilleries (comme Yates, Atwood ou Maugham) du placard, pour découvrir enfin Vitaliano Brancati, le fasciste devenu anti-fasciste sur lequel on a tant écrit, au travers de son sulfureux roman-phare : Le Bel Antonio. Avec le beau Marcello Mastroianni en couverture avec son air ténébreux.

L'intrigue est cocasse. L'irrésistible Antonio, en goguette à Rome, est rappelé par ses parents à Catane pour y épouser Barbara Puglisi, la plus belle fille de la ville. Tout le monde, hommes et femmes, jeunes et vieux, se pâme, charmé, au passage du couple qui rayonne de bonheur et de sensualité. Sauf que voilà, comme le notaire Puglisi le confie au père d'Antonio, "ma fille, après trois ans de mariage, est telle qu'elle est sortie de ma maison".

Mais derrière les frasques d'Antonio, Brancati ne ménage ni le mâle sicilien, ni le fascisme italien. L'amour propre des personnages pasculins est inextricablement lié à leur virilité - ou du moins à l'image qu'ils en donnnent, jusqu'au grotesque. Quand Antonio voit son mariage risquer d'être annulé, c'est une affaire d'honneur qui se déclenche ; son père d'ailleurs, refuse d'en croire ses oreilles : "Quel état ? Quel état, notaire ? L'état de mon fils, c'est qu'il a fait jouir à hurler les femmes de Catane, de Rome et du monde entier. Voilà l'état de mon fils !" L'impuissance n'étant jamais dite, mais toujours suggérée par des métaphores succulentes.

Le fonctionnement du système fasciste est largement tourné en dérision, et les critiques sont moins que voilées. "Une semaine après, Calderara était nommé sous-secrétaire général du parti et se rendait à Rome, laissant à son poste de Catane un certain Pietro Capano, un grave jeune homme de vingt-cinq ans, aux yeux proéminents comme deux billes et à la tête rasée, dont le seul rêve était de pénétrer, entouré de respect et de crainte, dans le hall de ce lycée où avaient étudié son père, son oncle et son frère, et où tant de fois on lui avait dit : mais alors, vous êtes tous des crétins dans ta famille ?"

Drolatique d'abord, plus grave et grinçant ensuite, Le bel Antonio, en dépit de son âge, n'a pas pris une ride. Les dialogues sont enlevés, le style, moderne, les portraits fins et savoureux. Bref, on ne s'ennuie pas, c'est rudement bien écrit, et c'est italien : on fonce !

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