L'héritage d'Esther, Sandor Marai

D'abord, il y a ce titre énigmatique - et pour une fois une couverture bien choisie.

"Quelle terrible loi, pensais-je ! et j'en eus la chair de poule. Je m'endormis ainsi, frissonnante, hébétée, la fausse bague au doigt, comme si, parvenue à l'ai libre après un long séjour en un lieu fermé, j'eusse été brusquement saisie jusqu'au vertige par une brise forte et cruelle, par le coup de vent de la réalité."

Esther se fait vieille. Elle a choisi de vivre solitaire et presque recluse après l'immense déception que lui causât, de longues années auparavant, l'amour de sa vie, Lajos. Après vingt ans d'éclipse et malgré ses trahisons répétées, le talentueux séducteur et brillant dilettante, ruiné, fait son retour, pour affronter Esther dans une ultime passe d'armes. Au soir de leur vie et dépouillés de leur superbe, enfermés dans leurs rôles mais désabusés, les deux personnages se mesurent dans un face-à-face s'inscrivant dans un huis clos de plus en plus étouffant, qui fait resurgir les sentiments et les ressentiments du passé.

Pas un mot de trop dans cette fable de la cruauté et de la désillusion, d'une richesse folle. Véritable petit bijou littéraire, L'héritage d'Esther est un concentré de l'immense talent de Marai, trop peu lu. L'auteur hongrois met ici en œuvre un travail d'une précision d'orfèvre, dont toutes les pièces s'emboîtent avec une perfection diabolique. Le ton est d'une justesse inégalée, et les sentiments saisis dans une complexité vertigineuse et dans la sobriété d'un style épuré. Servi par une unité de temps et de lieu, et sous-tendu de dialogues ciselés, l'Héritage d'Esther en devient presque théâtral. Du grand, du très très grand Marai.

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