La fin des jours, Alessandro de Roma

"Ma maladie progresse moins rapidement que celle des autres, me semble-t-il. Et pourtant, parfois, je pense que les autres se souviennent de beaucoup plus de choses qu'ils ne le montrent, mais que c'est juste que ça leur plaît de se laisser aller, qu'ils ne s'efforcent en aucune façon de résister. Par contre, pourquoi je résiste, moi, je ne le sais vraiment pas."

Giovanni, professeur de philosophie et d'histoire, a décidé de prendre constamment des notes parce qu'il perd la mémoire de manière inquiétante. Il n'est pas le seul d'ailleurs, puisque tout Turin, et bientôt toute l'Italie sont touchés, à des degrés divers. D'abord on oublie l'existence de tel voisin, puis tel souvenir de son enfance, puis enfin le chemin de chez soi. Cette amnésie collective va croissante, et la société bascule d'une manière presque imperceptible dans l'anarchie indescriptible d'une dystopie cauchemardesque et apocalyptique.

"Je dois bâtir une méthode et un projet. Je crains que mes troubles - s'ils existent vraiment - ne soient en train d'empirer de jour en jour, et qu'ils n'aient connu récemment une brusque accélération. Pas seulement chez moi, mais chez tout le monde. Il se pourrait que sous peu, je dépende complètement de ces pages, même pour la moindre bêtise."

La tension monte dans un Turin de plus en plus anxiogène, livré sans répit aux bandes de jeunes violents et aux pillards, où les vieux disparaissent de manière inquiétante, où l'on ne trouve plus que quelques magasins qui ne vendent que du savon, et on l'on est pas sûr de rentrer sain et sauf chez soi. Giovanni se remémore tant bien que mal l'épisode humiliant du TEST, s'occupe de son père impotent, et ne parait avoir qu'un seul ami fiable, le curieux Winnie, le seul à pouvoir encore se fournir en chocolat instantané, son confident et plus encore.

"D'ailleurs, faire un voyage serait important : j'en sais très peu, du monde du dehors. Je ne dis pas de l'étranger, mais déjà de ce qui se passe à Asti ou à Milan. Le monde rétrécit de jour en jour. Rien que le fait d'aller à la gare est un acte de courage extrême. Monter dans un train, s'en aller pourrait vouloir dire ne plus jamais revenir."

Le rythme du journal du narrateur, au départ méticuleux, et de plus en plus discontinu, ne laisse pas présager la fin en coup de théâtre, venant couronner un roman particulièrement réussi, questionnant la mémoire, mais au-delà la morale et son rôle dans le fonctionnement social. Une écriture troublante d précision dans la simplicité ; cynique, assez noir, mais très très efficace roman de ce jeune auteur sarde découvert dans le cadre de mon ambitieux Objectif Lune.

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