Calligraphie des rêves, Juan Marsé

Derrière ce titre somptueux se cache la vie secrète d'un adolescent taciturne, Ringo, dans l'Espagne franquiste des années 1940. Fasciné par son père, partagé entre ses rêves d'enfants, l'éveil à la sexualité, sa passion pour la musique, et la politique (la résistance au franquisme), Ringo navigue dans les eaux troubles de l'adolescence.

"Refuser son véritable nom avait toujours été un peu plus qu'un jeu ou une idée amusante. Si elle n'était pas si bizarre, et si elle n'avait pas presque deux ans de plus que lui, il le lui expliquerait avec plaisir. Mon nom est Domingo, poupée, mais quand j'étais petit on m'a enlevé le do, la première note de la gamme, et ça a donné Mingo, qui ne me plaît pas du tout. Un prénom mutilé, comme mon doigt. On m'a enlevé la note de musique, mais moi j'ai changé une lettre, une seule, et depuis ce jour-là il faut me chercher dans la prairie de l'Arizona, loin de ce sale quartier ..."

L'ambiance onirique (quel titre !) transporte au cœur des secrets et des chimères qui soutiennent ces personnages attendrissants de misère humaine ; dans le rythme confortable de phrases on ne peut plus amples, tous les éléments se répondent pour faire signe - la lettre rose, la bague d'os, le cahier d'exercices de musique, la valise, le doigt manquant, les colis secrets, l'arôme du café torréfié.

Calligraphie des rêves envoûte et emprisonne presque son lecteur dans la toile de son style très travaillé, superbement ciselé, malgré un certain immobilisme narratif. Des personnages imaginaires sont rarement aussi criants de vérité, campés dans leurs doutes, leurs rêves, leurs souffrances : on fit ici face à des êtres de papier qui s'incarnent véritablement dans une saisissante étude psychologique, évoquant - entre autres !- l'adolescence, la trahison, le secret, le mensonge, la tendresse, l'amour, le désespoir. Marsé a un talent fou pour capter les mouvements éphémères, paradoxaux et contradictoires de l'âme, avec une richesse infinie, qui invite à découvrir ses autres romans !

"Il croit que ce n'est que dans ce territoire ignoré et abrupt de l'écriture et de ses résonances qu'il trouvera le passage lumineux qui va des mots aux faits, endroit propice pour repousser l'environnement hostile et se réinventer soi-même."

Commentaires