L'invitation, Miquel Pairoli


"Joli couple ! Peut-être y aurait-il matière à passer un bon moment. Les invités n'étaient pas sans défense. Ils pouvaient avoir du répondant. La nuit commençait à peine et elle s'annonçait plaisante et pétillante comme le champagne".

Catalogne, 1939. La guerre civile est finie et les franquistes mettent en œuvre une répression sans pitié. Le roman s'ouvre sur la scène insoutenable d'une exécution sur la plage. Et l'ombre de cette ouverture plane, menaçante et insidieuse, sur le reste du récit, comme une sombre prémonition.

L'Invitation, c'est celle que Carpentier, un commissaire de police, adresse aux époux Forest, qui se trouvent dans une bien inconfortable position de solliciteurs : ils viennent en effet tenter de sauver la tête de leur fils, condamné à mort. Dans l'unité de temps et de lieu d'un dîner mondain qui tourne quasiment au huis clos se joue la grande scène de la vie. Dès le départ, le lecteur sent bien que quelque chose va se passer, mais quoi ?

"Le couple Forest s'accrochait à ce cérémonial de sourires, d'embrassades, de poignées de main, comme à son unique planche de salut. Ils devinaient un terrain mouvant derrière la politesse bourgeoise, guindée et bien réglée qu'exprimaient les gestes et les paroles."

Tour à tour désorientés, humiliés, manipulés, tournés en dérision par un hôte que l'on pressent malveillant, les Forest voient leur univers s'effondrer, sur le fond dramatique de Lohengrin. Chaque geste, chaque regard, est chargé d'une densité et saisi à la quasi-perfection en quelques mots, par un style incroyablement précis. Le malaise, diffus au départ, va croissant, découvrant au final la peur et le danger. Et le passé risque à chaque instant de ressurgir, dans une vengeance subtile orchestrée de main de maître.

"Quel sens avait ce souper ?"

Auteur catalan traduit pour la première fois en français, Miquel Pairoli étonne par la finesse de son écriture. De la plage au dîner, la tension plane constamment, savamment dosée, et enrichie par la palette étonnamment développée des émotions humaines, de la colère à la déception, en passant par le dégoût, la frustration, l'espoir, l'envie, la jalousie, la haine, le mépris. Les apparences, incertaines et parfois trompeuses, révèlent progressivement la complexité de personnages bien construits.

Petite fable cruelle menée à la perfection.

Commentaires

  1. Merci pour ton article. J'ai aussi été bien troublé par ce magnifique et bref roman !

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