L'indésirable, Sarah Waters


L'Indésirable, c'est avant tout le roman de la déchéance des Ayres, matériellement inscrite dans la décrépitude du splendide manoir familial, qui part à vau-l'eau, tout comme l'esprit de ses habitants. Un domaine qui s'effiloche, une maison qui tombe en ruine, "avide, gloutonne", loin d'être banale, et, au milieu de tout cela, Caroline en vieille fille admirable, Roderick non remis de sa grave blessure suite à un accident d'avion pendant la guerre, et leur mère vivant dans les apparences perdues d'une existence privilégiée.

"J'allai de nouveau observer les trois marques de brûlures : je me rendis soudain compte qu'elles étaient semblables aux cicatrices que Rod portait au visage et aux mains. Comme si la maison se couvrait de ses propres cicatrices, peut-être en réponse à sa tristesse et à sa colère - ou bien à celles de Caroline ou de sa mère -, en réponse aux chagrins et désillusions de toutes la famille. Cette pensée était horrible. Je compris soudain ce que Caroline voulait exprimer quand elle disait que les marques sur les murs et les meubles lui faisaient froid dans le dos".

C'est le docteur Faraday, le médecin de la famille, qui nous fait pénétrer dans l'univers très fermé de Hundreds Hall. Appelé au départ pour soigner une domestique plus effrayée par l'ambiance de la maison que réellement malade, il devient progressivement un proche de la famille dont sa mère a été, plusieurs années auparavant, l'une des domestiques.

Puis, l'inquiétude s'immisce, petit à petit, par l'intermédiaire de petits détails, qui finissent par s'accumuler entre des moments de récit rassurants. La frayeur injustifiée d'une jeune domestique. Le cliquètement des griffes d'un chien pourtant mort. Des meubles qui se déplacent, la nuit. Les étranges blessures de Rod et son comportement agressif et bipolaire.

"-Une illusion ? C'est cela que vous pensez ?
- ... une illusion qui se nourrit de votre fatigue. Je pense que vous devriez quitter le Hall un certain temps. Et tout de suite. Prendre des vacances, quelque chose comme ça".

Les signes vont crescendo, et, peu à peu, la maison devient terrifiante. Mais ne serait-ce pas plutôt que les membres de la famille sont atteints d'une étrange psychose qui les détruit peu à peu ? Le docteur Faraday s'efforce d'apporter des réponses rationnelles à ces évènements, dans le cadre d'une tension croissante qui continue de grimper, palier par palier, avec un terrible crescendo, dans une maison qui paraît de plus en plus sournoise et malveillante.

La construction est menée de main de maître ; après un départ assez plan plan, l'angoisse progresse, lentement mais sûrement, car Waters a l'intelligence de ménager des paliers, et d'introduire le doute par touches, des touches dont le cumul glace le sang. On pense bien sûr aux Bellefleur de Joyce Carol Oates, mais en beaucoup plus gothique, avec des passage aussi effrayants que Le tour d'écrou de James ... Pas mal, mais pas le genre de roman à lire seul la nuit !

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