Mon village à l'heure allemande, Jean-Louis Bory


"La demie de minuit sonne. Le silence, après, paraît plus profond. Je prête l'oreille. Pas le moindre bruit ; personne ne souffle ; pas de lumière. Le couvre-feu tient le village coincé ; il est oppressé, comme une poitrine sous un genou ; ça le serre. L'heure allemande. Je n'ai pas entendu sonner minuit ; l'heure boche ! Il est minuit et demie à Berlin"

J'ai longtemps différé la lecture de ce roman acheté sur un quai de gare il y a maintenant presque deux ans. Par peur peut-être d'une écriture peut-être un peu ringarde, d'une attitude un peu "datée" face à la guerre, à l'occupation, comme on est amenés parfois à le penser à la lecture de certains témoignages. Ce que je redoutais donc pour ce premier roman d'un jeune homme qui fut résistant à vingt ans.

Et puis non. C'est en fait un roman d'une étonnante modernité et d'un humanisme sans faille, et je me suis trouvée entraînée et même séduite dès les premières pages, par la fausse simplicité d'une belle écriture, d'une belle plume et d'un bel esprit.

Portrait sensible d'un village français dans les derniers mois de l'Occupation, au printemps 1944, le roman s'ouvre sur une paire de gifles, celle que son père donne à Élisa pour avoir écouté Radio-Londres en cachette. Nous pénétrons, un peu en voyeurs, dans la famille Boudet, vivant dans une ferme aux abords de Jumainville. Le père et le fils aîné, Auguste, commercent gaiement avec l'occupant, assurant des revenus confortables à la maisonnée ; Berthe, la servante boîteuse, souffre de son amour univoque envers Auguste ; Elisa se rebelle et rêve à ses rosiers.

"Voilà tout un village corrompu par la peur. Pourri jusqu'aux moelles par la peur ; peur de crever de faim, peur d'être supprimé, comme ça, d'une pichenette, pour le bon plaisir de la tribu la plus forte, la plus armée".

Galerie de personnages attachants, du rude père Boudet à la vieille fille Melle Vrin, en passant par Elisa et son amoureux Marcel qui répugne à l'action violente de la résistance, ou par Germaine la propriétaire du café ou l'instituteur M. Tattignies. Chacun de ces personnages prend tour la parole (les gentils comme les vrais méchants) pour une succession de focalisations internes alternées, qui apportent de la fraîcheur et du rythme au roman. Derrière le jeu de l'alternance des points de vue se cache une étude de moeurs beaucoup plus fine qu'il n'y paraît, débouchant sur l'analyse de toute une gamme d'attitude face à l'occupant, loin des clichés en noir et blanc.

Le village de Jumainville (en fait modelé sur Méréville, le village d'origine de Bory, dans la Beauce) prend vie au fil des pages, offrant dans son petit théâtre un microcosme de la France de l'occupation, plus dérangeant et profond que l'on pourrait le penser.

La bonne surprise de ce début de mois de novembre !

Commentaires

  1. Je suis toute heureuse de trouver un billet sur ce livre oublé, j'ai beaucoup aimé ce roman, Jean Louis Bory ne s'est jamais remis du prix obtenu pour ce livre

    RépondreSupprimer
  2. C'est un peu comme René Fallet ... ça fait du bien parfois de dépoussiérer ces romans "oubliés"

    RépondreSupprimer
  3. J'aime bien les romans historiques. Je trouve que ça permet d'apprendre des choses tout en s'amusant. Mais je trouve que ce roman est un peu dramatique et je n'aime pas trop ça.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Réagissez !