Porporino ou les mystères de Naples, Dominique Fernandez


D'accord, la couverture est loin d'être attractive, mais la collection (les Cahiers Rouges chez Grasset) est excellente, et (me) déçoit rarement. Ensuite, c'est un livre que j'ai lu - que dis-je, lu, dévoré ! - entre Naples et Rome, ce qui ne gâche rien, puisque, comme son titre l'indique assez bien, ce roman de Fernandez nous balade dans les rues de Naples.

Fernandez est un habitué et un amoureux de l'Italie, grand connaisseur de l'époque moderne, comme en témoignait déjà le très puissant La Course à l'abîme, un de mes livres-cultes sur un de mes peintres-cultes (Le Caravage), un pavé de 700 pages lui aussi (trop) rapidement ingurgité.

Cette fois-ci nous quittons Rome pour le village miséreux de San Donato, perdu dans la Campanie profonde, où grandit le jeune Vincenzo Del Prato, dont nous suivons la biographie imaginaire tout au long du roman. Dès l'enfance, Vincenzo est taraudé par des questionnements identitaires : qu'est-ce qui fait la différence entre l'unique et l'indistinct, les garçons et les filles ? Plusieurs évènements troublants, associant notamment le curé, accentuent ces angoisses. Vincenzo est âgé d'une douzaine d'années lorsque son père se résout à le "vendre" au seigneur du lieu, le prince de Sansevero, qui réside à Naples et décide de faire de l'enfant un castrat, selon la mode alors en vigueur à Naples, l'une des plus brillantes capitales de l'art lyrique.

Commence alors une nouvelle vie pour Vincenzo devenu Porporino, et pour nous une plongée vertigineuse et proprement étourdissante dans la Naples du 18e siècle, capitale de royaume. Tout le gratin européen s'y retrouve, depuis Casanova jusqu'à l'aventurière Sarah Goudard. Le jeune Mozart y raconte comment le vieux Farinelli lui enseigne les rudiments de l'opéra, la reine se déguise en prostituée pour racoler sur le port, le prince de Sansevero se meurt d'amour pour une actrice volage, le roi se moque copieusement des cocus, les lazzaroni vivent, et les beaux castrats font tourner bien des têtes dans le tumulte napolitain.

L'érudition, la verve et la passion de Fernandez font de la lecture de ce roman un moment absolument magique. On est littéralement emporté, de la première à la dernière page, dans un véritable tourbillon où la fausse préface ajoute une touche de mystère. J'ai rarement lu des pages aussi belles - et aussi justes sur Naples, ville chère à mon coeur s'il en est.

Ainsi, page 309 : "Naples, splendide et décrépite - décrépite ou pas encore tout à fait terminée ? Combien me touchent ces belles demeures, auxquelles il manque toujours quelque chose, un bout, un ornement dans la façade, peut-être est-il tombé, ce balcon a pu s'effondrer, personne n'aura pensé à le reconstruire, peut-être aussi n'a-t-on jamais eu le temps de le mettre en place, ou l'argent a-t-il fait défaut. Il est impossible de dire si ce désordre, cette incurie, cet air de défaite est dû à la vieillesse, à l'abandon, ou si le projet initial était trop vaste, trop ambitieux, trop fou".

En contrepoint de ce voyage fascinant mené avec maestria, une réflexion pas inintéressante sur l'enfance, l'identité et ses limites, la vanité de l'homme et l'amour-passion.

L'indescriptible, l'impalpable atmosphère napolitaine est bien là, quelque chose en tous cas de sa poésie sauvage et inimitable, son faste passé et sa décadence, sa grandeur désolée ... et rien que pour cela, il vaut vraiment le coup de découvrir ces Mystères de Naples.

Commentaires

  1. Je suis en train de lire La course à l'abîme. Quel livre! Je suis en train de le dévorer car j'ai presque fini en l'ayant commencé à Naples. Magnifique comme livre! Et puis le style nous fait véritablement rentrer dans la peau de ce peintre non conventionnel mais tellement brillant. En revanche, j'ai regretté de ne pas avoir les oeuvres sous les yeux pour m'éclairer sur ce qui est dit. Là, Le Caravage est à Naples. J'ai beaucoup aimé la description que fait l'auteur de la ville. J'ai retrouvé des noms de rues, des ambiances, des gestes... Bref, j'adore!
    PS: on vient juste de rentrer. On a adoré Naples!

    RépondreSupprimer
  2. J'adore aussi l'intensité de l'écriture, presque charnelle, de Fernandez ... quelle chance que tu aies encore Porporino à lire !

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Réagissez !