La servante écarlate, Margaret Atwood

Auteur canadienne découverte cet été, lors de ma traditionnelle retraite drômoise. Un roman très étrange, dévoré en deux jours, dans la belle collection poche de Robert Laffont, "Pavillons".

Dans le monde de Defred, les femmes se divisent en deux catégories. Les Epouses jouissent d'une situation enviable, d'une place reconnue dans la société. Les Servantes, elles, remplissent une mission mystérieuse que l'on découvre peu à peu, et qui les condamne à l'esclavage. Dans le monde de Defred, la condition féminine est effroyable, d'ailleurs toutes les Servantes sont "De" quelqu'un, quelqu'un étant leur "propriétaire" de sexe masculin. Defred n'a pas toujours vécu ainsi, on comprend que son monde, petit à petit, a basculé dans cette horreur. Mais pourra-t-elle seulement sortir de cet enfermement ?


En dire plus serait dommage, car le roman est fondé sur la découverte progressive, mais faites-moi confiance ! il s'agit d'un roman assez extraordinaire (et finalement pas si invraisemblable !), qui nourrit une réflexion finalement intemporelle. Roman d'anticipation sociale résolument féministe, il s'agit d'une sorte de pendant très réussi à 1984. On y retrouve la même ambiance, de plus en plus oppressante, au fur et à mesure que les aspects de cette société patriarcale et totalitaire où tout le monde craint tout le monde, se dévoilent au lecteur. L'anti-utopie de La Servante Ecarlate fait froid dans le dos. La forme originale de sa construction laisse planer un suspense incroyable qui tient en haleine jusqu'à la dernière page. Ajoutons que c'est très très bien écrit.

"Quand je sortirai d’ici, si jamais je suis capable de mettre ceci par écrit, sous une forme quelconque, même celle d’une voix s’adressant à une autre, ce sera encore une reconstitution, à un degré d’écart de plus. Il est impossible de décrire une chose exactement telle qu’elle est, parce que ce que l’on dit ne peut jamais être exact, il faut toujours laisser quelque chose de côté, il y a trop d’éléments, d’aspects, de courants contraires, de nuances ; trop de gestes qui pourraient signifier ceci ou cela, trop de formes qui ne peuvent jamais être complètement décrites, trop de saveurs dans l’air ou sur la langue, de demi-teintes, trop. Mais s’il se trouve que vous êtes un homme, quelque part dans l’avenir, et que vous avez survécu jusque là, surtout n’oubliez jamais ceci : vous ne serez jamais soumis à la tentation de croire que vous devez pardonner comme une femme se doit de le faire. C’est difficile d’y résister, croyez-moi. Mais souvenez-vous que le pardon est aussi un pouvoir. Le mendier est un pouvoir, le refuser ou l’accorder est aussi un pouvoir, peut-être le plus grand de tous. Il se peut que rien de tout ceci n’ait à voir avec l’autorité. Il se peut qu’il ne s’agisse pas vraiment de savoir qui peut posséder qui, qui peut faire quoi à qui et s’en tirer indemne, même s’il y a eu mort. Il se peut qu’il ne s’agisse pas de savoir qui a le droit de s’asseoir et qui doit être à genoux, ou debout, ou couchée, jambes écartées et ouvertes. Peut-être s’agit-il de savoir qui peut faire quoi à qui, et être pardonné. N’allez pas me dire que cela revient au même."

Un livre très intelligent, efficace et démoniaque, un roman qui fait réfléchir, dont on ne sort pas indemne, et que je vous recommande très vivement !

Première parution en 1987 - en poche chez Pavillons / Robert Laffont - 510 pages - 9.90 euros

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